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Le cocon de Suzanne

Suzanne était fatiguée. Pas seulement de ces jours gris qui se succédaient, non, de tout le reste. Des réunions interminables, des mails impérieux, des attentes des uns et des autres qui pesaient comme des pierres dans ses poches.

Ce matin-là, elle avait claqué la porte de son appartement, téléphoné à sa secrétaire et pris un train réservé une heure avant à destination d’elle ne savait trop où. Elle avait débarqué quatre heures plus tard dans un petit village qu’elle ne connaissait pas. La peur qui l’aurait étreinte auparavant était aujourd’hui inexistante. Elle avait besoin d’air. De silence. De s’oublier un peu. 


Elle trouva refuge dans une petite maison nichée au creux des collines. La bâtisse, vieille mais vivante, avait des murs en pierre recouverts de lierre et un toit incliné, tel un chapeau protecteur. À l’intérieur, l’air portait l’odeur d’un feu ancien et de bois ciré. Les meubles, usés par le temps, racontaient des histoires à qui prenait le temps de les écouter. Les rideaux étaient faits de tissus épais et moelleux et une lumière dorée, tamisée, filtrait doucement à travers eux. C’était un cocon, une tanière faite pour disparaître ou, peut-être, pour renaître.


Les huit premiers jours, Suzanne dormit. Beaucoup. Elle s’enroulait dans les couvertures en laine, écoutant le silence, brisé seulement par le vent. Elle laissait ses pensées vagabonder, sans les retenir ni les ordonner. Puis, peu à peu, elle apprivoisa l’espace. Les journées rafraîchissant, elle alluma le poêle, ajoutant des bûches une à une, fascinée par la chaleur et la lumière qui dansaient ensemble. La journée, elle ouvrait les fenêtres, laissant l’air frais emplir la maison.

Au douzième jour, elle descendit au village pour la première fois depuis son arrivée et se surprit à sourire aux habitants qu’elle croisait.

Au soir du treizième jour, sur une étagère, elle trouva un carnet jauni et un vieux stylo. N’écoutant que ses besoins depuis son arrivée, elle décida de suivre cette petite voix qui lui soufflait d’écrire. Ce fut timide d’abord, des bribes de phrases, des éclats de souvenirs. Les mots coulaient, hésitants, puis de plus en plus fluides.


Suzanne prenait de nouvelles habitudes, vivait désormais selon un nouveau rythme. Chaque matin, elle sortait marcher dans les collines. Le froid lui piquait les joues à l’aller, le soleil caressait sa peau au retour. Le paysage, d’une beauté calme, l’enveloppait, presque maternel. Elle ramassait une pierre par jour, qu’elle disposait sur le rebord de la cheminée, comme des fragments de son voyage intérieur. Chaque soir, au coin du feu, elle prenait le carnet et écrivait. Pas pour se souvenir, mais pour déposer quelque chose. Un fardeau, un rêve, une prière. Les pages se remplissaient, et son cœur, lui, s’allégeait.


Après plus de quatre semaines, la maison semblait avoir changé. Elle n’était plus seulement un refuge, elle était devenue un miroir. Suzanne y voyait ses forces et ses fragilités, ses rêves oubliés et ses désirs naissants. Au matin du 36e jour, alors que la brume s’effaçait pour révéler les collines éclatantes de lumière, Suzanne comprit qu’il était temps de partir.

Elle referma doucement la porte derrière elle, sans appréhension aucune. Ce qu’elle emportait avec elle n’avait ni poids ni forme : c’était une force, un souffle, un éclat de lumière, prêts à l’accompagner où qu’elle aille.


Texte écrit par Laura Denieul - reproduction interdite.


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