Nous avons recueilli le témoignage de monsieur Alfred Grimault, soldat français fait prisonnier par les allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Il nous raconte son internement dans le camp de Rawa-Ruska.
Fait prisonnier à 22 ans
Monsieur Grimault était soldat en action dans la Somme, près d’Abbeville, lorsqu’il a été arrêté par les allemands. Sa mission était alors de les empêcher de franchir le fleuve, mission difficile puisque sa troupe et lui n’avaient que
« des canons de 14-18 pour faire face à l’arsenal des ennemis. Quand on n’a plus eu d’obus, on a été cueillis par les allemands ». Il avait 22 ans.
Dès lors, Monsieur Grimault n’a cessé de se rebeller contre le joug ennemi. Pour preuve, en 5 ans de captivité, il tente cinq fois de s’évader. « J’étais indiscipliné, un prisonnier très récalcitrant ». Ce sont ces multiples tentatives d’évasion qui lui valent d’être envoyé dans le camp 325 de Rawa-Ruska, en Ukraine. Ce camp de représailles est assimilé aux camps d’extermination, « un camp d’anéantissement dont personne ne devait sortir vivant ».
Rawa-ruska : un camp de prisonniers encore méconnu
Le camp était composé de 15 000 prisonniers, « et il n’y avait qu’un seul robinet d’eau dans tout le camp, qui ne fonctionnait que quelques heures par jour. La toilette était impossible.» Ce camp de Rawa-Ruska était constitué de blocks, d’écuries, de baraques très sommaires : « Il n’y avait ni portes ni fenêtres, il n’y avait pas de lumière, tout était entouré de barbelés. » Monsieur Grimault était vêtu, comme tous les autres, « d’une veste, d’un pantalon, pieds nus dans des sabots de bois », été comme hiver.
De ce camp, monsieur Grimault se souvient des gardes SS mongols, toujours accompagnés de chiens-loups. Ces gardes étaient pour lui encore plus épouvantables qu’un garde allemand. « Nous n’avions à manger qu’un jour sur deux, le lendemain nous avions du liquide. » Les gardes lestaient le sac à dos des détenus « d’une trentaine de briques » et les faisaient « courir autour des baraques pendant ¾ d’heure », pensant les épuiser et les tuer, à petit feu. Forte tête, monsieur Grimault s’est accroché, ne s’est jamais laissé aller. Quand il sortait du camp pour aller travailler, il ramassait, sur les conseils d’un camarade, des orties. Il les faisait bouillir dans un vieux casque, pour avoir quelque chose dans le ventre.
De ce camp aussi monsieur Grimault a tenté de s’échapper. Avec quelques-uns de ses camarades, il a creusé un tunnel sous les barbelés, travail qui a pris 1 mois. Malheureusement, ils ont été vendus par une personne du camp, et les premiers sortis étaient attendus plus loin par les gardes, qui les ont fusillés.
Là-bas, il a perdu sa voix. Les allemands avaient peur des contaminations et répandaient chaque jour du chlore sur les latrines. Monsieur Grimault, qui dormait directement sur le sol d’un des baraquements, avec d’autres prisonniers, a eu l’idée d’y mettre de cette poudre, afin de se débarrasser des poux et punaises qui les dévoraient chaque nuit. Au bout de trois jours il s’est rendu à l’évidence : ses cordes vocales étaient brûlées à cause des émanations de chlore.
Résister malgré tout
En plus d’avoir perdu sa voix, ses camarades et lui devaient faire face aux expériences pratiquées sur les prisonniers par les « médecins » du camp : tous les quinze jours, on les piquait afin de leur injecter différentes maladies.
Malgré ces traitements visant à les exterminer, les allemands n’ont pas pu mettre fin à la vie de tous les prisonniers présents. L’armée soviétique a fini par réagir, la Russie voulant enfin récupérer un territoire qui lui appartenait. Mais les allemands ne voulaient pas voir le camp délivré, ils ont alors emmené les prisonniers en Allemagne « non pas pour intégrer de nouveaux camps, mais pour former de nouveaux bataillons, les BAB ; nous étions condamnés à relever les morts et les blessés sous les bombardements. »
Monsieur Grimault est resté prisonnier des allemands jusqu’à la fin de la guerre, bien qu’il ne se soit « jamais senti prisonnier » dans sa tête. Là-bas, il a continué à être un « irréductible », à faire « sa résistance » ; il a, avec d’autres prisonniers, fait sauter un train, près de Salzbourg « nous avons réussi à faire quelques chose de valable en Allemagne. » À son retour en France, il pesait 35 kilos. Il a survécu à cette vie de prisonnier grâce à son incroyable force mentale et « aux orties. »
Un devoir de mémoire
Depuis la fin de la guerre, monsieur Grimault s’est fait un devoir de témoigner de l’existence de ce camp afin que cette période sombre de notre Histoire ne tombe pas dans l’oubli.
©L'Encre des Mots
Avec l'aimable autorisation de monsieur Grimault. Toute reproduction même partielle est interdite, toute personne contrevenante s'expose à des poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce témoignage, merci de me contacter.
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